En français, nous avons une expression pour dire que nous avons raté ou manqué quelque chose : Je suis passé à côté… ’Je n’ai pas vu ou si j’ai vu, je n’ai pas regardé et je n’ai pas pris en compte.’
Que ce soit dans la rencontre du Seigneur avec Abraham ou dans la parabole du Bon Samaritain, je voudrais mettre en avant quelques expressions : Abraham leva les yeux et aperçut trois hommes… Veuillez ne pas passer loin de votre serviteur... Venez prendre du réconfort avant d’aller plus loin.
De l’homme dépouillé et meurtri par les coups qu’il a reçus des brigands il est dit, dans l’évangile, qu’un prêtre, puis un lévite, le vit et passa à bonne distance.
Quand il s’agit du samaritain, nous remarquons qu’il y a un troisième verbe, intermédiaire entre le fait de voir et le fait d’agir, l’action n’étant plus de faire un écart mais de s’approcher.
Il le vit, fut pris de pitié et s’approcha… pour lui donner les soins.
Nous pourrions résumer l’attitude donnée par Jésus en exemple à trois verbes : Voir, avoir, pourvoir. Voir d’abord la dignité de l’homme, avoir de la compassion pour ses blessures, pourvoir à ses besoins.
Voir, vivre un déplacement intérieur et extérieur pour avoir cette attitude d’âme qui conduit à la rencontre – une rencontre non feinte –, pourvoir aux besoins du voyageur qui passe et a besoin de repos à travers l’eau pour les pieds – et j’imagine aussi pour la soif ! – comme à travers la nourriture d’un repas que je gouterais volontiers !
Il s’agit donc pour nous aujourd’hui de ne pas passer à côté de notre vocation de chrétiens. La parabole du Bon Samaritain, nous le savons, a tout d’abord valeur de récit exemplaire : Jésus nous y enseigne que l’amour du prochain ne se fonde pas seulement sur une proximité objective, avec un ordre de priorité correspondant à l’ordre naturel : la famille, les compagnons de travail, les concitoyens, les compatriotes, les étrangers… et même les ennemis… suivant un ordre où l’urgence de la charité irait en décroissant… Jésus nous apprend que l’amour du frère passe par une proximité subjective : le bon samaritain s’approcha, il se déplace vers le blessé de manière physique jusqu’à pouvoir le toucher. Cette proximité subjective est aussi cordiale et active : cordiale par la compassion qui rejoint la personne, active par le soin et le chemin parcouru ensemble jusqu’à l’auberge.
Ainsi, tout dépend de nous ! De quiconque, nous sommes invités à nous faire le prochain, disponibles et secourables. … Et nous savons bien que cela dépasse nos forces et nos limites ! Pour l’accomplir en toutes circonstances, il y faudrait un cœur aussi large que celui de Dieu ! C’est pourquoi tout dépend aussi de Dieu !
Pour le comprendre, il est bon de lire autrement cette parabole et nous reconnaître en cet homme dépouillé et blessé… mais relevé et soigné par le Christ Jésus lui-même. Le Bon Pasteur a été reconnu dès les premiers siècles de l’Eglise comme le Bon Samaritain. Jésus a pour nous une compassion divine et les entrailles d’une miséricorde infinie. Ce Bon Samaritain annonce aussi son retour, laissant le temps à son Eglise et à ses membres, de prendre soin les uns des autres, en nous lavant mutuellement les pieds, en recevant nos frères comme des hôtes et en les servant à table. Si le mot samaritain – shomer en hébreu – signifie gardien des lois, Jésus lui-même est le gardien et le garant du premier et du second commandement unifiés ainsi par le légiste : tu aimeras le Seigneur ton Dieu de tout ton cœur, de toute ton âme, de toute ta force et de toute ta pensée… et ton prochain comme toi-même !
Ainsi le récit exemplaire devient pour nous un appel et même un commandement : va, et toi aussi, fais de même ! Et, nous le savons bien, quand Dieu appelle, il équipe celui qu’Il appelle des dons et talents nécessaires ! Il donne aussi à celui qui l’appelle la possibilité et la force de le faire : tes péchés sont pardonnés, prends ton grabat et marche.
Ainsi, quand Jésus ordonne, Il donne ce qu’Il ordonne. Ainsi il nous sauve et nous relève et nous rend capables de dire avec Lui : Père que ta volonté soit faite sur la terre comme au ciel tout autant que de l’accomplir.
Le légiste cherchait un commandement de plus, comme une recette facile, pour être assuré d’avoir la vie éternelle. Jésus s’est penché sur lui et a pris le temps de l’enseigner en deux temps. Il le renvoie d’abord à la source, au double commandement de l’amour de Dieu et du prochain que le légiste se surprend peut-être lui-même à unifier. Puis Jésus l’appelle à ce changement, ce retournement d’attitude, cette conversion, qui consiste à s’approcher du frère sans attendre qu’il vienne à nous et sans mesurer le degré de parenté, de sympathie ou d’amitié ! Va, et toi aussi, fais de même.
En entendant cette parole, le légiste aurait pu hausser les épaules, passer à côté de la réponse de Jésus et s’en aller tout triste comme le jeune homme riche qui avait posé la même question : que dois-je faire pour avoir la vie éternelle ? Mais le légiste et nous avec lui – pouvons tout autant prendre Jésus au mot, croire à cet ordre, c’est à dire croire à la grâce qu’il annonce. Jésus a pris en charge celui qui l’interrogeait, il a vraiment tout fait pour lui, comme avait fait le samaritain. Jésus a été le samaritain de ce légiste, il s’est fait le prochain de cet homme. Il s’est fait notre prochain. Il nous a sauvés et relevés !
Allons, allons donc plus loin… et nous aussi, faisons de même !
Père Michel BERGER, curé d’Orange