Il y a 15 ans, j’ai pu aller en Terre Sainte en pèlerinage d’action de grâce pour 10 ans de ministère sacerdotal. A mon retour, j’avais écrit les réflexions suivantes.
Je ne peux pas garder pour moi ce que j’ai reçu de la part du Seigneur sur les pas duquel j’ai pu marcher. Plutôt que de faire un compte-rendu journalier des étapes, je ferai donc quelques réflexions sur les lieux saints, sur les hommes dont ils nous parlent et les hommes qui nous en parlent pour terminer par les grâces reçues à l’occasion de ce pèlerinage.
LES LIEUX
La Terre Sainte est un pays de fractures et d’ouvertures :
- tout le monde sait bien que la Mer Morte et le sillon jordanien (prolongement du grand rift africain) se situent sous le niveau de la mer. Ce n’est rien de le dire ! On le comprend mieux quand on le ressent physiquement en ‘plongeant’ de Jérusalem à Jéricho.
- Non loin de Jéricho, à -300m, se situe le lieu du baptême de Jésus : par son Incarnation, le Dieu tout-puissant s’est uni à notre faiblesse pour relever l’homme. Il a pris la condition d’esclave… et s’est abaissé devenant obéissant jusqu’à la mort sur une Croix (Cf. Phil 2, 6 et 8). Quand le Très-Haut se fait homme, il descendu au point le plus bas de la planète… et, comme si cela ne lui suffisait pas, au jour de son baptême, il descend encore dans l’eau !
- à Nazareth, la maison de la Vierge est une maison troglodyte : ici le Verbe s’est fait chair, parce que Marie lui a ouvert son âme (elle a conçu dans la foi) pour l’accueillir dans son sein (tout autant qu’elle a conçu en sa chair ; St Léon le Grand). Voir la maison de Marie est une pressante invitation à accueillir, nous aussi, le Christ chez nous…
- à Bethléem, au cœur de la grotte de Nativité, c’est une étoile dont le centre est évidé qui rappelle que Dieu est ‘entré’ dans le monde… (cf. Heb. 10, 5)
- A Jérusalem, le pressoir de Gethsémani est situé non loin d’une grotte et sur le Golgotha, on peut plonger son avant bras dans la fracture du rocher qui a accueilli le pied du bois de la Croix, sans parler du Saint Sépulcre, grotte souterraine, quelque peu malmenée par les évènements historiques, qui garde néanmoins toute sa puissance d’évocation de la Résurrection.
Sur place, on réalise aussi combien les lieux saints sont marqués par le caractère de l’unité géographique. Je l’ai réalisé
- au CENACLE tout d’abord : dans ce lieu, on embrasse d’un seul regard plusieurs évènements du salut : l’institution de l’eucharistie et le lavement des pieds le soir du Jeudi Saint, l’apparition de Jésus ressuscité le soir de Pâques et la mission du Saint Esprit sur l’Eglise naissante rassemblée au jour de la Pentecôte.
- puis sur les bords du LAC DE TIBERIADE où la plupart des évènements importants du ministère de Jésus sont regroupés dans un périmètre assez étroit :
Capharnaüm la ville où Jésus vint demeurer au cours des trois ans de son ministère public (Cf. Mt 4, 13).
Le mont des Béatitudes où St Matthieu situe le sermon sur la montagne (Mt ch 5 à 7)
Tabgha, lieu de la multiplication des pains…
Le rivage d’où Jésus –après sa Résurrection- a invité ses apôtres à lancer le filet pour la deuxième pêche miraculeuse, rivage sur lequel il avait préparé un feu, du pain et du poisson pour le petit-déjeuner, rivage sur lequel il demande par trois fois à Pierre : Simon, fils de Jean, m’aimes-tu ? (Jn 21, 1-23)
- Nazareth, là où il a été élevé (Luc 4, 16) où il a vécu caché pendant trente ans. Il y a encore des menuisiers à Nazareth ! Je garde en mémoire cette échoppe d’un menuisier chrétien. Sur le mur, une image (de mauvaise qualité artistique mais qu’importe !) de Saint Joseph enseignant le métier à Jésus !
En voyant (avec une bonne part d’imagination) les différents cadres de vie que le Fils de Dieu a choisi, on réalise d’une manière nouvelle le mystère de l’Incarnation : Jésus, comme chacun de nous, avait ses habitudes, sa patrie…
- JERUSALEM : même s’il faut un bon moment pour situer la Jérusalem du temps de Jésus au milieu de la ville actuelle, on est assez vite sais par la beauté du cadre chantée par le psaume 124 : Jérusalem ! Les montagnes l’entourent ! ou par le psaume 121 : Jérusalem bâtie comme une ville où tout ensemble fait corps ! De Béthanie à Jérusalem, en passant par le mont des Oliviers où Jésus passait la nuit en prière, au pied du Temple et où il a vécu son agonie, il n’y a pas loin. Même si la ville de David et des rois de Juda n’existe plus qu’à l’état de vestiges, il est facile de situer ce que représente la guérison du paralytique à la piscine probatique, la montée au Temple ou la célébration de la Pâque au Cénacle. Refaire le chemin de la Croix en suivant la via dolorosa permet de situer les limites de la ville de l’époque : descendre pour remonter et trouver le rocher du Golgotha puis à quelques 30 mètres seulement le St Sépulcre.
LES HOMMES
Ces réflexions nous amènent aux hommes : ceux dont la Terre Sainte nous parle et ceux qui nous en parlent. Visiter les lieux saints nous aide à situer les personnages bibliques, Jésus Notre Seigneur et tous les patriarches, prophètes et rois qui l’ont annoncé : je garde en mémoire la chant du psaume 50 au cours de la messe que nous avons célébré dans la chapelle du Dominus flevit (cf. Lc 19, 41-44) avec, sous les yeux l’esplanade du Temple et sur la gauche, la cité de David. Le psaume prend alors un relief tout particulier… puisque c’est à quelques centaines de mètres de là qu’il a jailli d’un cœur brisé et contrit.
Mais cela n’est possible que grâce à ceux qui, depuis 2000 ans et encore aujourd’hui, ont gardé et gardent une mémoire vivante que :
« ici, à Nazareth, en ce lieu précis, le verbe s’est fait chair »
« ici à Bethléem, nous est né un Sauveur »
« ici, Jésus a prié, ici, il a été condamné à mort »
« ici, il a donné sa vie sur la Croix »
« ici, il est ressuscité, « ici, il est apparu à ses disciples ».
Si l’archéologie arrive parfois à prouver avec certitude (à Capharnaüm par exemple pour la maison de Pierre) que tel lieu a été marqué par la présence de tel personnage biblique, la plupart du temps, c’est essentiellement par la tradition que nous savons que tel lieu est saint ; c’est grâce à cette tradition que nous pouvons avec émotion nous recueillir, prier et accueillir d’une manière nouvelle la grâce des évènements qui s’y sont passés.
Les chrétiens que nous avons rencontrés au cours de notre pèlerinage en sont très conscients et c’est d’ailleurs sur ce point qu’ils nous demandent de les aider. Dans un pays où ils ne sont qu’une minorité (2% de la population !) -minorité qui se fait d’autant plus sentir que les chrétiens sont répartis et parfois divisés entre différentes églises (latins, orthodoxes, melchites, coptes, éthiopiens, protestants…)- il leur est vital d’être soutenus par ceux qui, ailleurs dans le monde, partagent la foi en la Trinité et en Jésus, Fils de Dieu, unique Sauveur de tous les hommes.
Le 6 janvier, nous avons célébré la messe de l’Epiphanie avec la communauté melchite de Maghar (non loin de Nazareth). [Les melchites sont les chrétiens orientaux catholiques (puisque unis au Successeur de Pierre) qui célèbrent la liturgie de St Jean Chrysostome en arabe ! Les chrétiens de Terre Sainte, dans leur très grande majorité, sont arabes. Oui, on peut être chrétien et arabe, puisque être arabe, c’est parler l’arabe]. Le curé de cette paroisse –dont le presbytère est régulièrement caillassé- nous disait combien les enfants chrétiens étaient rabroués quand ce n’est pas agressés ou tabassés par les druzes parce qu’ils sont chrétiens et simplement excellents dans leur travail d’école ou plus beaux que les autres physiquement… On comprend alors le projet d’une école paroissiale !
Messe mémorable : un jour de semaine, donc non chômé, voit une église remplie (mais pas assez au dire du curé) par 400 personnes dont 200 ont moins de 18 ans !
Notre soutien aux chrétiens de Terre Sainte leur est nécessaire. Leur vitalité et la force de leur foi surprennent les occidentaux anémiés que nous sommes mais nos pèlerinages en Terre Sainte permettent de reconnaître et d’aider les communautés locales, véritables pierres vivantes qui donnent une âme aux pierres des lieux saints.
LA GRACE DU PELERINAGE
Aller à Jérusalem et prier dans la basilique du Saint Sépulcre, que ce soit au lieu du Golgotha ou devant le tombeau vide de Jésus, est l’occasion de dire la prière d’action de grâce que crie le psaume 86 : De Sion, l’on dira : tout homme y est né. Action de grâce et reconnaissance émerveillée parce qu’on accueille sur ces lieux la grâce de notre salut et de la nouvelle naissance qu’a été notre baptême.
Cette prière est aussi source d’une immense espérance. En effet, le pèlerinage sur les lieux saints marque la mémoire, non seulement dans sa partie imaginative qui peut ensuite lire la Bible avec une composition de lieu concrète et fidèle à la réalité mais aussi dans sa partie spirituelle marquée de manière nouvelle par tout ce que Dieu a fait pour nous. C’est dans cette mémoire que l’espérance trouve quotidiennement la force et la joie de vivre uni au Christ crucifié (Gal 2, 19-20) et ressuscité (1 Cor 15, 4 et 14) et d’en témoigner.
Il y a aussi une grâce d’unité intérieure qui va de pair avec la grâce de la paix dont Jérusalem est, dans son nom même, le symbole.
- Unité intérieure parce l’Evangile nous est, de manière nouvelle, montré comme une bonne nouvelle accessible à tous puisque Jésus a vécu aussi (et même bien plus) simplement que nous. Le cadre de la Galilée, riante et verdoyante, est à cet égard extrêmement parlant.
- Unité intérieure parce que tout don gratuit de Dieu nous unit à lui et unifie tout autant les actions de notre vie quotidienne que l’histoire personnelle que chacun de nous a vécu, vit et vivra…
Enfin, au cours de notre pèlerinage, nous avons savouré la grâce de l’unité entre les participants. D’origine et de formation diverses, nous avons très vite formé un groupe joyeux (un pt’it air de vacances pour des prêtres dégagé de tout ministère pendant 15 jours !) qui savait en un clin d’œil faire grand silence pour se recueillir dans tel ou tel lieu saint et y accueillir la Parole de Dieu pour une lectio divina inoubliable !
Père Michel BERGER, le 2 février 2005