Entendre, voir, toucher...

21 avril 2020

Ce matin, un homme a sonné au presbytère pour demander : « mon père, quand est-ce que la messe reprend ? » Sa demande, je le sais, est partagée par tant de paroissiens… Mon cœur de prêtre et de curé est meurtri de devoir célébrer dans une église vide et de vous dire qu’il faut attendre probablement encore trois dimanches avant de nous retrouver pour la célébration eucharistique ! Nous avons fait tout notre possible pour aller de l’avant dans cette épreuve du confinement. Nous continuons à nourrir et à exprimer notre foi. Le téléphone et les réseaux sociaux nous ont permis de continuer à entendre la Parole de Dieu et nous pouvons nous réjouir de voir que, dans nos familles et dans notre communauté paroissiale, le Christ est là, agissant, présent et célébré…

Parfois, nous avons pu apercevoir le visage de l’un ou l’autre sur un écran ou lors d’une rencontre fortuite, avec la distance requise, et parfois derrière un masque couvrant le nez et la bouche et ne laissant apparaître que les yeux ! avec l’impression que nos rencontres sont amputées…

Car nous avons soif, faim et besoin de beaucoup plus ! À cause de la privation de la rencontre avec nos frères mais plus encore à cause du manque de contact avec notre Seigneur Jésus-Christ dans le sacrement de son Corps et de son Sang, nous crions notre désir avec les paroles du psaume 41 :

Comme un cerf altéré cherche l’eau vive, * ainsi mon âme te cherche toi, mon Dieu.
Mon âme a soif de Dieu, le Dieu vivant ; * quand pourrai-je m’avancer, paraître face à Dieu ?
Je n’ai d’autre pain que mes larmes, le jour, la nuit, * moi qui chaque jour entends dire : « Où est-il ton Dieu ? »
Je me souviens, et mon âme déborde : * en ce temps-là, je franchissais les portails ! Je conduisais vers la maison de mon Dieu la multitude en fête, * parmi les cris de joie et les actions de grâce.
R / Pourquoi te désoler, ô mon âme, et gémir sur moi ? * Espère en Dieu ! De nouveau je rendrai grâce : il est mon sauveur et mon Dieu !
Si mon âme se désole, je me souviens de toi, * depuis les terres du Jourdain et de l’Hermon, depuis mon humble montagne.
L’abîme appelant l’abîme à la voix de tes cataractes, * la masse de tes flots et de tes vagues a passé sur moi.
Au long du jour, le Seigneur m’envoie son amour ; * et la nuit, son chant est avec moi, prière au Dieu de ma vie.
Je dirai à Dieu, mon rocher : « Pourquoi m’oublies-tu ? * Pourquoi vais-je assombri, pressé par l’ennemi ? »
Outragé par mes adversaires, je suis meurtri jusqu’aux os, * moi qui chaque jour entends dire : « Où est-il ton Dieu ? »
R / Pourquoi te désoler, ô mon âme, et gémir sur moi ? * Espère en Dieu ! De nouveau je rendrai grâce : il est mon sauveur et mon Dieu !

Chrétiens, nous croyons en Dieu qui s’est fait homme : c’est le mystère de l’Incarnation.
Catholiques, nous croyons que la présence de Jésus continue concrètement, dans les sept sacrements
Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin du monde. Mt 28, 20
et même corporellement dans l’Eucharistie :
ma chair est une vraie nourriture et mon sang est une vraie boisson. Jn 6, 55

La véracité de la présence du Christ dans l’Eucharistie correspond à celle de sa Résurrection quand les disciples se redisent, de génération en génération : le Seigneur est ressuscité ; il est vraiment ressuscité. Cf. Lc 6, 34
Le Seigneur est là, présent ; Il est vraiment là !

Cette expérience du corps à corps - dans la présence réelle - est constitutive de la vie des catholiques.
Privés de l’Eucharistie, nous défaillons.

Certes, la communion spirituelle nous console parce que nous savons que Dieu continue d’agir en nous en nous donnant ses grâces. Mais nous sommes en manque du pain de vie, de ce corps ressuscité qui est la source vive de l’éternité. Je remercie Sylvie T., une amie, de m’avoir autorisé à partager avec mes paroissiens ce qu’elle m’a écrit aujourd’hui :

« En ce temps de confinement, nous vivons des choses intenses qui nous poussent à vivre en profondeur nos manques pour découvrir un sens. Et ce sont de vrais manques que nous essayons de combler, y compris spirituellement.
Le Pape a raison quand il nous met en garde sur une Eglise et donc une vie spirituelle virtualisées.
Certes, je suis la première à user de mon i pad pour voler de clochers en propositions multiples pour m’accompagner spirituellement en cette période.
Et je rends grâce pour la créativité de l’Eglise et pour la technique de notre époque pour pallier à nos manques.
Lors de la Messe d’hier, en terme de communion spirituelle, voici quelle était ma prière :
Quand pourrai-je te prendre dans le creux de mes mains, Seigneur ?
Quand pourrai-je t’embrasser de ma bouche, et me nourrir de toi en vrai ?
Quand pourrai-je prendre dans mes bras ceux que j’aime, porter et embrasser le dernier né de mes petits-enfants et jouer avec les autres ?
Quand pourrai-je embrasser, consoler, demeurer avec maman, sans distance ?

La situation actuelle vient nous rappeler avec grands cris que nous sommes des êtres de chair qui avons besoin de relations vraies, tactiles, qui avons besoin d’être nourris de ces contacts manifestant l’amour car c’est cela qui nous fait vivre.

La communion eucharistique spirituelle crie avant tout en moi une privation, une privation qui m’associe au mystère pascal du Christ mais une privation vitale.
La communion spirituelle vient susciter notre soif. Oui j’ai soif, grand soif. En même temps, je suis émerveillée de voir combien cette année encore le Christ ressuscité est vraiment ressuscité en mon cœur l’animant d’une joie profonde, que j’associe volontiers à la sobriété des liturgies pascales. »

Privés de la rencontre avec nos frères, nous sommes aussi en manque de contact corporel avec Jésus. L’un et l’autres sont liés. Je ne communie pas pour moi seul mais je communie avec mes frères et même pour eux. Comme eux-mêmes, en communiant au Corps du Christ, me rejoignent en s’unissant à Celui qui a tout saisi dans l’offrande de Sa vie et qui nous a ainsi rachetés du péché. Permettez-moi de citer encore cette amie : 

« La vie ne se limite pas à ma personne, pas même à mon couple qui m’apparaît pourtant essentiel en ce confinement.
La vie n’a de sens que par les autres. La vie n’a ainsi de sens, pour nous chrétiens, que par Celui qui est Source et but de toute vie. Car la Vie appelle à la vie, car la Vie est plus forte que la mort. Et même au cœur de l’épreuve, l’appel à la vie est merveilleusement présent et ouvre un avenir : on nous annonce des décisions de mariage, des bébés prenant chair, fruits de l’amour invaincu. Cela n’empêche pas de traverser les ravins de la mort, de souffrir, de craindre. Ainsi, si les autres souffrent, je souffre avec et pour eux. »

Aujourd’hui, j’ai dû annoncer aux parents et, par eux, aux enfants qui se préparent à recevoir la confirmation et la première communion qu’il faudra reporter à l’automne la célébration de ses sacrements. Puissent ces adultes et ces enfants dire à Jésus que leur désir déçu est grand mais qu’il continuera à grandir.
Dieu, tu es mon Dieu, je te cherche dès l’aube : mon âme a soif de toi ; après toi languit ma chair, terre aride, altérée, sans eau. Psaume 62

Mais le désir n’est pas que de notre côté. Jésus aussi se languit de venir chez nous, comme Il l’a dit au publicain : Zachée, aujourd’hui, je veux demeurer chez toi. Lc 19, 5 Jésus ne dit pas : je veux passer, rapidement, chez toi… mais Il dit ; je veux demeurer chez toi !

Prions, frères et sœurs à l’intention de ces enfants qui se préparent aux sacrements et demandons au Seigneur d’abréger les jours de notre jeûne eucharistique. D’ores-et-déjà, préparons-nous à recevoir Jésus vivant dans le sacrement de son corps et de son sang avec une plus grande foi, un cœur renouvelé, en redécouvrant que le plus beau cadeau que Jésus nous ait laissé sur la terre, c’est le don de lui-même, pain vivant descendu du ciel pour être notre nourriture.

Père Michel BERGER