L’esprit du Carême

1er mars 2025

Pratiquement tout le monde imagine plus ou moins le Carême comme un temps de « privation ». Un temps ou on ne mange pas de viande, ou de chocolat, ou autre chose. On se « prive » de quelque chose qui fait plaisir. Mais pourquoi ? Une personne sensée ne ferait rien dont il ne comprenne pas la raison et le sens, non ? Pourtant, beaucoup de monde se fait une idée de ce qu’est le Carême mais peu savent quelle est la raison de fond.

Partons de la base. Nous savons que le Carême est image des 40 jours que Jésus a passés au désert et des 40 ans du peuple d’Israël au désert aussi. Ainsi, l’Église est invitée à vivre le Carême pendant 40 jours. Ceci nous donne le « qui », le « quand », le « où » et le « quoi », et nous pourrions en parler longuement. Mais si nous voulons nous centrer sur l’esprit de cet événement que nous allons vivre, il va falloir focaliser sur le « comment » et, surtout, le « pourquoi ».

Le sujet est vaste, et c’est précisément pour cela que je ne voudrais donner que quelques coups de pinceau pour aider ceux qui veulent vivre ce temps à le faire d’une manière plus adaptée.

Le Catéchisme de l’Église Catholique est clair : « L’Église s’unit chaque année par les quarante jours du Grand Carême au mystère de Jésus au désert » CEC 540. Donc ce qui s’est passé au désert avec Jésus est central.

La première chose à considérer est que ce n’est pas nous qui « commençons » le Carême, comme si nous l’avions décidé ou comme si l’Église l’avait décidé par elle-même. « Jésus fut conduit au désert par l’Esprit pour être tenté par le diable » Mt 4, 1. Et pour le peuple d’Israël : « Souviens-toi de la longue marche que tu as faite pendant quarante années dans le désert ; le Seigneur ton Dieu te l’a imposée pour te faire passer par la pauvreté ; il voulait t’éprouver et savoir ce que tu as dans le cœur : allais-tu garder ses commandements, oui ou non ? » Dt 8, 2. À chaque fois, l’initiative vient de Dieu : c’est Dieu qui conduit ! De la même manière, le Christ conduit son Corps qui est l’Église au désert, au Carême. Ceci est un événement actuel. Ce n’est pas le Carême de l’année dernière ou un Carême banal. C’est maintenant, en cette an de grâce 2025, que le Christ nous conduit avec lui au désert !

La deuxième chose à considérer est que ce temps est un temps liturgique. Je pense que souvent nous avons une idée confuse de ce qu’est la liturgie, mais ce n’est pas le moment ici de faire un traité sur cela. Ce qui est important c’est que « par la liturgie, le Christ, [] continue dans son Église, avec elle et par elle, l’œuvre de notre rédemption » CEC 1069. Benoît XVI souligne qu’il faudrait « abolir la distinction entre l’« actio » du Christ et la nôtre. Qu’il n’y ait plus qu’une « actio », à la fois sienne et nôtre. [] L’unicité de la liturgie chrétienne consiste justement en ce que Dieu lui-même agit et nous intègre dans son action »[1]. Ainsi, le temps de Carême n’est pas un temps qui s’exprime seulement dans les actes liturgiques tels que la messe, le chemin de croix, la confession, la prière et les actes de sacrifice personnelles. Toute notre vie, tout notre être est invité à entrer au désert avec Jésus. Ce « comment » s’exprime « non seulement [dans] la célébration du culte divin, mais aussi [dans] l’annonce de l’Évangile et la charité en acte » CEC 1070.

La troisième chose, c’est le « pourquoi ». Pourquoi Jésus a-t-il été amené au désert ? Pour être tenté par le diable. Et pourquoi le peuple d’Israël a-t-il été conduit au désert ? Pour être mis à l’épreuve et connaitre ce qu’ils avaient dans le cœur. Ceci pourrait être vu comme une aberration si nous perdons de vue le but. Une chose c’est le « pourquoi » en tant que cause et une autre différente le « pour quoi » de finalité. Il est clair que le temps de Carême est un temps d’épreuve, mais il ne faut pas oublier que c’est un temps de préparation ! Le Christ s’est préparé avant de commencer sa mission publique avec ce temps au désert, où il a éprouvé les mêmes tentations auxquelles nous sommes confrontés tous les jours, pour vivre le mystère de sa Pâque qui deviendra aussi la nôtre. Jésus n’a pas fui le combat, il est entré en plein dedans, et il est sorti vainqueur ! Le peuple d’Israël a vécu aussi le combat dans le désert, et il avait murmuré contre Dieu, laissant ainsi voir ce qu’ils avaient au fond de leurs cœurs. De même, pendant ce Carême nous seront conduits au désert avec Jésus pour nous préparer à Pâques. Il ne faut pas perdre de vue Pâques ! Si non, le Carême restera vide de sens. L’Église – c’est-à-dire vous et moi – pendant le Carême, se prépare à entrer dans le Mystère Pascal.

« Et donc ? Je dois faire quoi ? » On attend tous qu’on nous donne un mode d’emploi pour savoir ce qu’il faut faire pour avoir la conscience tranquille et pouvoir dire : « j’ai fait un bon Carême », juste parce que j’ai réussi à accomplir les défis que je me suis imposé (ou que l’Église impose). Cela n’est pas l’esprit du Carême. Le Carême ne vient pas de nous, il vient à nous ! Il arrive, il est là. Ce que nous pouvons faire c’est d’y entrer ou pas, d’avancer dans le désert ou de faire marche en arrière.

C’est un temps d’épreuve, de tentation. Si nous sommes tentés, éprouvés, courage ! Le Carême vient à notre avantage ! Le plus important, comme pour le peuple d’Israël, c’est d’abord de se connaître soi-même. Nous savons plus au moins où sont nos convoitises, nos vices, nos faiblesses, nos penchants mauvais. Nous devrions savoir où nous sommes éprouvés chaque jour, où nous sommes tentés. Le Carême commence par ne pas fuir cette réalité, mais la vivre avec le Christ et son Église ! Et si nous n’arrivons pas ? Et si j’arrive affamé, assoiffé, faible, échoué dans toutes mes démarches ? Reste attaché au Christ car il est sorti victorieux ! N’ayons pas peur de vivre le Carême en sincérité, pour entrer en sincérité aussi au Mystère Pascal.

Père Pablo SOLIS ENCINA, vicaire

[1] RATZINGER, Joseph. L’Esprit de la Liturgie, p. 147. Ed. Artège 2023.