TRANSFIGURATION

13 mars 2025

Trois ans plus tôt, trois ans avant sa « TRANSFIGURATION » sur la sainte montagne, Jésus de Nazareth ne laissait apparaître de Lui que son humble écorce - le charpentier de village - ! Il était déjà Dieu, « vrai homme et vrai Dieu » comme nous le proclamons dans notre Credo, mais sa gloire était cachée.
Aujourd’hui, son « visage devenu tout autre », ses « vêtements devenus d’une blancheur éclatante », sa conversation avec Moïse et Elie, des personnages morts depuis des siècles et pourtant « apparus dans la gloire » tous ces signes et pourtant les trois évangiles synoptiques, nous disent qu’une réalité fondamentale et transcendante, la « Présence » de Dieu, se cache sous le banal quotidien. On pourrait comparer la Transfiguration de Jésus à une soudaine et courte éruption volcanique qui fait surgir la gloire incandescente de notre terre, au creux de laquelle, sous nos pieds, brûle un « feu » toujours présent, même quand nous n’en voyons pas l’irruption soudaine.

Dans les trois récits de Matthieu, Marc, et Luc, il y a eu au moins dix points communs, qui attestent l’authenticité de l’événement. Cette année, nous pouvons nous arrêter à remarquer les « nuances » importantes, qui sont propres à Luc. Elles mettent en évidence les moyens que nous avons à notre disposition, à la suite de Jésus, pour transfigurer notre quotidien et sa grisaille habituelle, pour toucher nous aussi l’éternel présent dans notre temps de chaque jour.

C’est, en effet, une mention propre à Luc dans une sorte d’insistance : « Jésus...alla sur la montagne pour prier, et pendant qu’il priait son visage devint tout autre ». Le récit de l’évangéliste St-Luc semble vraiment construit pour nous dire que la théophanie qui va suivre – cette transparence du divin dans l’humain – est comme une réponse à la prière de Jésus. Sur les quinze fois où les évangiles nous parlent de la prière de Jésus, on en compte onze dans saint Luc.

Il est assez rare qu’on puisse regarder de près, dévisager, un homme ou une femme, ou même un enfant qui prie, car on respecte le mystère de cette intimité inouïe d’un être humain avec l’invisible.

Il n’y a rien de plus beau qu’un visage illuminé de l’intérieur par la contemplation du mystère de la présence.

On comprend que Pierre ait eu envie de rester dans une telle illumination de bonheur et qu’en une autre circonstance, après avoir longuement observé Jésus en prière, Pierre ait demandé : « Maître, apprends-nous à prier » (Luc 11,1). Bien sûr, la Transfiguration de Jésus, sur le Thabor, ce jour-là, a dû être un phénomène absolument unique, mais l’indication de Luc nous est précieuse, car, si nous en avons fait l’expérience personnelle, nous le savons bien : pour nous aussi, pour tout homme, la prière nous transforme, en profondeur, nous soulève au-dessus du terre à terre et de la grisaille banale du quotidien. Si seulement le temps de Carême était pour chaque chrétien l’occasion de faire l’expérience de l’intimité divine qui illumine toute la vie.

C’est le deuxième détail, important, propre au récit de Luc, comparativement aux autres évangiles. Luc seul nous dit le sujet de la « conversation » de Jésus avec l’invisible : « Ils parlaient de son départ – de son ‘exode’, selon le terme grec – qui allait se réaliser à Jérusalem ». Si Jésus est l’homme de la prière, c’est aussi l’homme du sacrifice. Il est clair que la Transfiguration intervient juste après la première annonce de la Passion (Lc 9, 22) et juste avant la seconde annonce (Lc 9, 44). La pensée de sa mort prochaine habitait Jésus en permanence. La prière de Jésus n’est pas une fuite du réel, comme le disent parfois ceux qui ne semblent pas avoir fait l’expérience de la prière véritable. Toute prière vraie se fait dans la chair et le sang de la vie humaine. Et la prière de Jésus l’engage encore plus dans sa mission de Sauveur du monde. Loin de l’isoler des hommes, sa prière immerge profondément Jésus dans sa solidarité avec l’humanité entière. Ce sont les trois mêmes, Pierre, Jacques et Jean, qui auront le privilège de participer de plus près à son Agonie au Jardin.

Pour nous aussi, l’épreuve est un de nos lieux de transfiguration. Là encore, expérience universelle. Combien d’hommes et de femmes ont été soulevés au-dessus d’eux-mêmes, au dessus de la médiocrité courante, par les souffrances qui auraient pu les détruire ; Mystère ! Le temps est transparent de l’éternel.

Mais cet éternel est habituellement invisible, un peu comme l’image latente, en négatif, de nos pellicules photographiques. Il faut un bain révélateur pour voir vraiment le positif. Ce révélateur qui transfigure la vie des souffrants, c’est à la suite de Jésus, le mystère de la Croix et de la Pâque… le « passage », le « départ », l’ « Exode » … Que notre carême soit aussi, pour chaque chrétien, l’occasion de monter vers Pâques.

Stanislas Tamby, diacre