Avance au large !

13 novembre 2020

Avance au large…. Telle est l’invitation que Jésus adresse à Simon, avant de lui suggérer de lancer ses filets de pêche. Et, bien que Simon vienne de passer la nuit sans prendre aucun poisson (son travail quotidien) il accepte sur la Parole du Christ de remettre sa barque à l’eau et de se diriger cette fois-ci vers les profondeurs.

Les moments que nous vivons sont identiques à la nuit qu’a vécue Simon avant de se remettre au travail…. Cette nuit, ce sont ces journées qui nous paraissent parfois longues, très longues. L’ennui risque à tout moment de faire son apparition. Il représente une sorte de suspension du temps : « il ne se passe rien » . C’est un trou dans l’être : « les journées sont creuses ». Elles n’ont ni sensations, ni direction, ni signification : en un mot elles n’ont pas de sens. Ne parle-t-on pas de « grisaille de la vie » pour désigner une vie monotone, c’est-à-dire vécue dans l’uniformité des jours qui se suivent et se suivent encore, inlassablement identiques à eux-mêmes.

Alors face au vide de l’ennui, la stratégie la plus classique est d’essayer de « tuer le temps ». Mais chacun sait que le temps ne se tue pas. Il exige qu’on ait avec lui un rapport d’accueil et de juste maîtrise.

La personne qui s’ennuie est donc confrontée à la complexité de son être. Elle est conduite très rapidement à reconnaitre le terreau dans lequel s’enracine ses passions et ses vertus. Elle découvre avec humilité la part de sagesse contenue dans le proverbe « l’oisiveté est la mère de tous les vices » et perçoit mieux la fragilité de la frontière entre le vice et la vertu. On comprend mieux, dès lors, que laisser s’installer l’ennui en soi-même, que de ne pas aider un proche à lutter contre lui, sont des attitudes décourageantes. Notre Dieu, Dieu des vivants, qui ouvre une histoire tumultueuse de libération (Ex 20,2) ne saurait accepter une telle réalité. Le suivre, c’est toujours entrer dans une histoire qui, malgré la traversée de certains déserts monotones, s’avère surprenante.

Alors quelle stratégie adopter pour lutter contre le pouvoir dévastateur de l’ennui ? La réponse semble évidente : ne pas le laisser s’installer, rechercher et accueillir tout ce qui peut faire sens ainsi que tout ce qui incline à inventer du sens…. faire le nécessaire pour avoir accès à des lieux de sens : un intéressant travail manuel ou intellectuel, une riche vie relationnelle et affective, une réelle fécondité éducative ou culturelle, une découverte plus grande et plus vraie de Dieu… bref découvrir des gisements de sens là où un regard hâtif et superficiel ne les voit pas…. apprendre à regarder autrement les petites choses qui seront désormais un lot quotidien. On découvrira alors que la banalité est moins banale qu’il n’y parait. S’ouvrira ainsi un humble mais authentique chemin de contemplation. Bien plus, on sera amené à percevoir toujours plus la richesse de cette parole paulinienne « Tout subsiste en Christ » (Col.1,17). Parole qui invite à regarder les choses de la vie quotidienne comme on regarde une icône, c’est-à-dire en acceptant d’y découvrir la Réalité christique qui la fonde et l’anime. Mais un tel regard exige de « voir » avec le cœur, et, qui plus est, avec un cœur habité par l’Esprit, car seul « l’Esprit Saint scrute tout, jusqu’aux profondeurs divines » (1 Co 2,10).

« Ne cède pas aux peurs que provoquent les incompréhensions du monde. Je suis là. Avance au large. Tu verras alors comme il est bon de laisser chanter la harpe de l’Evangile au vent de ta culture. »

Père Emmanuel Deluëgue